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Convergences avec Shankara

Adi Shankarâchâryâ, ou Çankara. Philosophe indien de Kâladi, au Kerala. Disciple de Govinda. Artisan du vêdânta (achèvement des Veda) et plus particulièrement de l'Advaïta-Vêdânta, d'inspiration moniste. 700-750 (ou 788-820).

La Gîtâ. - l'irréel n'a pas d'existence ; le réel n'a pas d'inexistence. La conclusion concernant ces deux entités a été aperçue par ceux qui savent voir la vérité (II, 16.)

Commentaire. - L'irréel n'a pas d'existence. L'irréel, par exemple les couples d'oppositions comme le froid et le chaud avec leurs causes n'a pas d'être, c'est-à-dire d'existence, car le couple chaud-froid et sa cause n'est pas un objet existant qui soit déterminé par des moyens de connaissance certaine ; en effet, c'est une modification, et une modification est transitoire. Il en est de même pour la configuration d'un objet, tel un pot ; cette configuration, objet d'une représentation fondée sur l'oeil, est irréelle, parce qu'elle ne peut pas être perçue indépendamment de l'argile ; ainsi toute modification est irréelle parce qu'elle n'est pas perçue indépendamment de sa cause et parce qu'elle n'est pas perçue avant sa production ni après sa destruction. Et quant à la cause, il y a aussi irréalité parce qu'elle n'est pas perçue indépendamment de sa propre cause.

- S'il y a irréalité de la cause, il s'ensuit que rien n'existe ?...

- Non, car chaque fait d'expérience implique une double connaissance : celle du réel et celle de l'irréel. Est réel ce dont la connaissance ne fait jamais défaut ; est irréel ce dont la connaissance est inconstante. La distinction entre le réel et l'irréel dépend donc de la connaissance. En toute expérience, à propos d'un même et unique substrat, il y a pour ainsi dire deux connaissances, lesquelles s'expriment en étoffe existante, poterie existante, éléphant existant, ce qui n'est pas le cas pour le lotus bleu. Or, la conscience que nous avons de la poterie, de l'étoffe, etc. est variable, ainsi qu'il a été dit, mais il n'en va pas de même de la connaissance d'existence. Tandis que l'objet correspondant à la conscience que nous avons de la poterie est irréel, en raison de son caractère variable, ce qui correspond à la connaissance d'existence n'est pas irréel, car cette dernière ne disparaît jamais.

- Lorsque la poterie disparaît, la connaissance de la poterie faisant défaut, la connaissance d'existence fait-elle aussi défaut ?...

- Non, car il y a toujours connaissance d'existence à propos d'autres objets, tels qu'une étoffe. Cette connaissance d'existence correspond à un déterminant.

- La connaissance du pot, comme la connaissance d'existence, apparaît à propos d'un autre pot ?...

- Non, car il n'y a pas de connaissance de poterie à propos d'une étoffe.

- La connaissance d'existence quand le pot est détruit n'apparaît plus ?...

- Non, car le sujet est absent. La connaissance d'existence correspond au déterminant et puisqu'il ne peut y a voir de connaissance d'un déterminant sans le sujet auquel il se réfère, à quoi correspondrait-elle ?...

- En revanche, du fait de l'absence d'objet pour la connaissance d'existence, il est impossible d'avoir un substrat unique, quand il y a inexistence du déterminé, le pot, etc.

- Non, parce que l'on voit que dans un mirage, dans l'expérience : voici de l'eau, il y a un substrat unique pour les deux connaissances, même si l'un des deux objets n'existe pas.
Donc l'irréel, c'est-à-dire le corps, les couples d'oppositions et leurs causes, n'a pas d'existence. De même le réel, c'est-à-dire le Soi, n'a pas d'inexistence, parce qu'il est contenu dans toutes choses. Nous avons déjà montré cela.

Le réel est toujours existant ; l'irréel n'existe jamais, telle est la conclusion à laquelle sont parvenons, au sujet du Soi et du non-Soi, du réel et de l'irréel, ceux qui voient la réalité. Le mot tatvadarçin signifie celui qui est apte à voir la nature du Brahman, tel qu'il est ; tat en tant que pronom nom pour tout est nom du tout qu'est le Brahman ; le dérivé tatvam signifie le fait d'être Cela, c'est-à-dire la nature du Brahman.

Commentaire de la Baghavad Gîtâ.

 

Extraits de Çankara et le vêdânta. Traductions de Paul Martin-Dubost.
Seuil, collection " Maîtres spirituels ".