Open menu

Douwe Tiemersma parle de Nisargadatta Maharaj et de "Cela, tu l'es, toi aussi"

Ce premier article, sur l'enseignement de Nisargadatta est paru dans la revue néerlandaise sur la non-dualité Inzicht en mai 2010 ; il a été écrit par Douwe Tiemersma, maître spirituel advaita néerlandais, professeur de biologie et agrégé d’anthropologie philosophique à l’université Erasmus de Rotterdam, décédé le 3 janvier 2013. Il a dirigé le centre Advaita Centrum à Gouda où existent encore les activités telles que le yoga, la méditation, les groupes Advaita répartis dans toute la Hollande et même en Belgique, le site web www.advaitacentrum.nl, la fondation AYO (pour la formation de futurs professeurs de yoga), la fondation JOI (pour la détente et la clarté de compréhension des jeunes dans la non dualité), la maison d’édition Uitgeverij Advaita qui a publié les 16 livres de Douwe Tiemersma. Disciple de Sri Nisargadatta Maharaj, il a poursuivi la tradition de l’advaita en donnant des satsangs et en encadrant des retraites aux Pays-Bas et en Belgique. De plus, il a également donné des cours de yoga, de pranayama et de méditation au fil des années. Son ouvrage intitulé « De bron van het zijn » (la source de l’être) où figurent des entretiens avec Nisargadatta et ses disciples est essentiel. Un autre ouvrage fondamental sur la non-dualité « Non-dualiteit, grondeloze openheid » (Non- dualité, l’Ouverture insondable) a été également traduit en anglais : non-duality, the groundless openess. Cet ouvrage sera bientôt publié en français. De nombreux textes en néerlandais et anglais figurent sur le site www.advaitacentrum.nl.

Le deuxième article s'intitule "et Cela, tu l'es, toi aussi!" (à lire plus bas) Douwe Tiemersma

L’enseignement de Nisargadatta

Beaucoup connaissent l’enseignement prodigué par Nisargadatta Maharaj. Il semble toutefois bon d’exposer à nouveau les éléments essentiels de son enseignement car cela peut favoriser une compréhension encore plus claire et affûtée de l’essence de l’advaita et de sa propre situation.

Texte de Douwe Tiemersma :

Un premier point est de bien distinguer les différents niveaux de réalisation qui constituent souvent des étapes sur la voie de la réalisation de l’ultime non-dualité. La connaissance de cette géographie est nécessaire à la prise de conscience de votre propre situation et donne la possibilité de reconnaître les étapes à parcourir.

Le témoin

La première étape à parcourir est le retour au point de vue de l’observateur à partir d’où vous considérez tout ce qui se présente. Ce retour est un recul permettant de vous distancier de l’objet que vous observez. Le champ d’observation s’élargit alors et s’ouvre à vous en tant qu’observateur, en vous montrant toutes les facettes de votre personnalité. Toutes sortes d’impressions, d’émotions et d’images de votre propre corps sont maintenant visibles comme des phénomènes dans le champ qui s’ouvre devant vous. Vous considériez d’abord le monde du point de vue du corps, de vos propres yeux. Vous étiez vos yeux ! Ils faisaient partie de vous-même, en tant que sujet de l’observation. Et maintenant, après avoir pris du recul, vous considérez vos yeux comme des objets, des phénomènes placés à un certain endroit, là. Il est alors clair qu’il n’y a pas de coïncidence entre vous et vos yeux, que vous n’êtes pas vos yeux. Il est aussi clair qu’il n’y a pas de coïncidence entre vous et votre corps, que vous pensiez être totalement, entre vous et vos activités mentales et l’image de vous-même, auxquelles vous vous identifiez tout naturellement jusqu’à présent. Qu’êtes-vous alors ? L’observateur qui contemple tout dans une détente totale, le témoin qui voit tout sans être imbriqué dans l’objet de son observation, une conscience qui enregistre tout.

Je-suis

Qu’en est-il alors de la non-dualité ? L’observateur est clairement séparé de ce qu’il peut observer. C’est très important, au début, afin de rompre l’identification avec l’objet de l’observation. Cette identification contribuait à créer une dualité dans le monde ‘Je suis ce corps et pas autre chose’, ‘je suis cette personne-ci ; cette personne-là, c’est quelqu’un d’autre’. Il y a une dualité cosmique entre l’observateur et le monde au niveau de l’observateur qui se distancie. La distance qui sépare l’observateur et l’objet de l’observation devra disparaître sur le plan universel afin de réaliser une non-dualité universelle. Il est donc clair que l’observateur a encore un certain type de corps. Même si ce corps a perdu beaucoup de son caractère physique, il reste encore une condition, à savoir, celle d’une certaine position avec une certaine perspective et une concentration énergétique. Cette concentration de vous-même en tant qu’être-conscience peut, elle-aussi, disparaître. Considérez l’espace qui vous entoure, retournez-vous et détendez-vous. Une expansion infinie de la conscience surviendra englobant tout dans une seule non-dualité universelle sans centre. L’atmosphère du Soi a non seulement les qualités d’Être et de Conscience, mais aussi d’Amour. L’expansion universelle peut seulement se faire dans l’Amour, dans l’acceptation de tout et de tous au niveau des sentiments.

C’est ainsi que l’atmosphère d’Être-Conscience illimitée est aussi une atmosphère de félicité, d’Ananda céleste. C’est l’atmosphère de l’Être-Soi universel à l’état pur, c’est une présence cosmique sans forme. C’est la constatation que ‘l’on est’ en tant qu’Être-Conscience universel. Le centre-moi y est absent, on n’y trouve aucune structure. Si des phénomènes s’y présentent dans un processus de différenciation, vous restez vous-même consciemment universel et tout reste, à l’inclusion de cette universalité. Il reste donc une non-dualité de vous-même avec tout et tous.

L’absolu

Les qualités de l’Être-Soi universel peuvent devenir conscientes. Apparemment vous ne vous y fondez pas en tant que conscience. Si cette prise de conscience a lieu et se poursuit, les toutes dernières qualités se dissoudront et aussi, le je-suis. C’est le dernier abandon total où tout se dissout. Il n’y a alors plus rien à dire à ce propos, car ‘Cela’ n’a pas de qualités. C’est l’absolu, l’Ouverture insondable où les dernières limitations de l’être, de l’être-soi disparaissent. C’est la libération ultime (moksha) des conditions auxquelles l’être-soi était soumis. Cette libération se manifeste clairement avec l’expérience d’Être, absente du ‘je’, bien qu’il soit possible d’établir que la vérité de l’Ouverture ultime était déjà toujours présente. C’est aussi la connaissance du début de la création. L’Ouverture insondable est le fondement de l’existence de la Conscience je-suis au sens universel, d’où naissent les formes limitées de l’être-soi et où apparaissent les multiples formes de l’univers. Si vous restez conscient au bord de l’absolu, sans retomber dans la qualité du je-suis et dans une certaine forme, la non-dualité de l’absolu et de ce qui est relatif, le monde, restera. Sans dualité, il n’y a ni conflit ni souffrance.

Dans quelle mesure votre réalisation s’est-elle concrétisée ?

Ce que je viens de formuler est sans doute vite compris sur le plan mental. Ce sont des informations que l’on peut reproduire sous forme d’un schéma. Ce qui est important dans une première phase. La philosophie de l’advaita vedanta distingue trois phases du jnana-yoga. La première est celle de l’écoute (shravana) de l’enseignement prodigué par un maître spirituel. C’est la prise de connaissance des éléments essentiels de la philosophie de l’advaita, entre autres, ‘Cela, tu l’es’. C’est le matériel de base sur lequel on réfléchit pendant la seconde phase (manana). Le disciple rassemble toutes les informations sur le plan mental afin de découvrir la logique de l’enseignement prodigué. Il peut alors reproduire cette philosophie et en discuter.

C’est ce qui se passe très souvent dans les cercles de l’advaita. Mais dans quelle mesure peut-on parler d’une véritable réalisation de la non-dualité ? C’était le cas au cours des entretiens menés par Nisargadatta. Il piquait immédiatement au travers de l’écorce mentale pour en montrer sa futilité. Le terme réalisation signifie que l’on réalise la vérité, que l’on est conscient de l’enseignement en tant que vérité. Mais cela signifie aussi que la vérité est une réalité pour vous, qu’elle est votre propre réalité. Cela signifie que vous abandonnez votre identité limitée, y compris l’univers qui est rattaché, pour être conscient de la réalité que vous percevez comme nouvelle. Cela commence déjà par la première étape, le passage au point de vue et au monde de l’observateur. Dans quelle mesure avez- vous vraiment franchi cette étape ? Dans quelle mesure un glissement s’est-il opéré entre votre fonctionnement quotidien et le point de vue du témoin ? Dans quelle mesure l’état de témoin est-il stable ? Vous pouvez parler de vous-même en tant qu’observateur de tout, en tant que témoin qui n’est pas impliqué dans les événements. Mais, s’agit-il d’une réalisation concrète ? Cela signifie que vous êtes vraiment présent à ce niveau, au niveau du corps de la compréhension, qui en fait partie. C’est seulement si vous êtes concrètement installé dans ce corps qu’il sera réalité. Ici aussi. C’est seulement si cela est très concret qu’il sera question de réalisation. Ce glissement de votre propre identité et réalité peut se produire rapidement et spontanément, mais, la plupart du temps, il y a un développement, un troisième stade de la voie vers la libération succédant à l’écoute et à la réflexion : celui de la méditation permanente (nididhyâsana) où la vérité, que le disciple a entendue et qui a fait l’objet de sa réflexion, devient propre. C’est une dévotion permanente et totale et une concentration de l’attention, un lâcher-prise des sentiments, des images et des concepts appartenant à l’entité individuelle et une acceptation de la nouvelle situation.

Cela vaut aussi pour la réalisation du je-suis universel. Nisargadatta incitait les visiteurs, qui n’étaient pas arrivés à ce stade, à se consacrer entièrement à cet Être-Conscience universel. À partir de la condition humaine limitée, l’Être-Conscience se présente comme la réalité divine qui ne peut être réalisée comme sa propre réalité que par le dévouement dévotionnel et l’abandon. « Consacre-toi, plein de dévotion, au je-suis comme le dieu suprême. » Cela signifie qu’il faut s’y consacrer sans distraction. Sinon, il ne se passera rien. Ici aussi, la réalisation devra être totale, ce qui signifie que toutes les facettes du moi devront s’y fondre. Il faudra reconnaître très concrètement les caractéristiques de votre situation universelle. C’est dans l’universalité que se sont déjà dissous beaucoup d’éléments de votre entité individuelle, mais, à ce niveau du je-suis, il y a encore une substance avec des qualités qui sont en rapport avec l’existence physique. L’atmosphère cosmique du je-suis est physique. Vous êtes physiquement le cosmos : le corps causal ou le corps ananda. Pouvez-vous percevoir de façon réaliste le cosmos comme votre corps sans structure ? Le savoir au niveau mental et le reconnaître au niveau psychologique, ce n’est pas suffisant. C’est seulement si vous réalisez clairement, très concrètement et actuellement, dans votre expérience existentielle, que le centre-moi et toute la réalité duelle disparaissent, c’est seulement à ce moment-là qu’aura lieu la réalisation du je-suis divin illimité. Dans quelle mesure est-ce vraiment le cas ? Dans quelle mesure la réalisation de votre identité cosmique est-elle stable ? Dans quelle mesure la vie peut-elle suivre son cours sans retourner à une certaine forme de vie ? C’est seulement si l’on réalise pleinement le je- suis stable, que la réalisation suprême de la source du je-suis, l’absolu, aura lieu. Nisargadatta :

« ...becoming stabilized in the Awareness ‘I Am’ is all that is important. Later on, you will also transcend the ‘I Amness’. »

Jusqu’où va votre réalisation ?

La réalisation peut avoir lieu à toutes sortes de niveaux. Pendant les dernières années de sa vie, Nisargadatta Maharaj a pratiquement uniquement parlé de l’Être-Soi universel et de sa résorption dans l’absolu. Il poussait les personnes présentes dans cette direction. Il n’avait plus le temps d’expliquer toutes les phases précédentes. Le glissement du point de vue du moi matériel au point de vue du témoin est une première étape. Mais bien qu’il soit très important d’avoir une vision libre des événements du monde et de ce qui se passe au niveau mental, cela reste la première étape. La réalisation devra se poursuivre, d’abord au niveau de l’universel je-suis, ensuite au bord de l’absolu. Pourquoi Nisargadatta renvoyait-il beaucoup de visiteurs qui venaient le voir ? Ce n’était pas seulement parce qu’il n’avait plus le temps d’expliquer tout à partir du début. C’était aussi parce qu’il voyait que beaucoup de visiteurs étaient attachés à leurs propres expériences, sentiments et idées personnels. C’était justement le cas des personnes en quête de spiritualité suprême, des professeurs de yoga, de ceux qui rendaient visite aux lieux ‘saints’ et aux maîtres spirituels de l’Inde, de ceux qui avaient fait des études approfondies sur la philosophie et la culture de l’Inde, des disciples d’autres maîtres spirituels. Que faire de ceux qui restent enlisés dans leurs propres idées, leurs sentiments et expériences spirituels, leurs plaisirs du flow of life, leur distraction de l’attention spirituelle ? Beaucoup quittaient vite d’eux-mêmes le grenier étouffant où ils ne voyaient qu’un vieil homme sans dents. D’autres étaient renvoyés. Quelques-uns réalisaient que leur petit univers était attaqué, un univers qu’ils ne voulaient pas abandonner et trouvaient que Nisargadatta les traitait avec dureté. Une entité individuelle ne peut pas accepter d’être mise au rencart. Et c’était exactement de quoi il s’agissait.

La réalité ultime peut seulement être réalisée par l’abandon de son implication dans certaines formes et qualités, même si elles sont spirituelles, par l’abandon du centre-moi, par l’abandon de la qualité je-suis. Ce lâcher-prise à tous les niveaux suscitera un sentiment d’espace accompagné d’un sentiment de joie et de bonheur. La vie s’écoulera alors dans toute sa spontanéité et créativité. L’enthousiasme s’emparera de nous à l’expérience de l’incommensurable. L’atmosphère de la vie, de ‘l’être’, se déploie à l’infini, ne connaît plus de limites, lorsque le centre- moi disparaît vraiment. Il est alors difficile, mais d’autant plus important de voir à quel point cet être- soi se cramponne aux conditions. Nisargadatta Maharaj a montré que le je-suis était une condition entièrement dépendante du corps-aliment. Lorsqu’il se désagrège, il ne reste plus rien de l’être spirituel suprême. Pour expliquer cela clairement, Nisargadatta faisait référence au bâtonnet d’encens dont le feu et l’odeur, qui en forment l’essence, restent dépendants de la substance matérielle du bâtonnet. Une fois que la matière combustible est épuisée, tout disparaît. Il allumait son briquet et le fermait pour montrer que la vie apparaît, dans son essence suprême, pour disparaître ensuite. Seul le jnani, le connaisseur, se connaît lui-même et sait qu’il est indépendant, libre du corps-aliment et de la vie spirituelle dépendante de la condition de ce corps.

La réalisation commence par l’examen de la situation où vous vous trouvez actuellement, quelle qu’elle soit. La première étape est d’accepter cette situation qui est apparemment votre façon d’être. La réalisation peut s’y poursuivre ensuite de façon radicale. Elle devra être radicale car, sinon, votre atmosphère restera limitée et conditionnée par la souffrance. Ce radicalisme va plus loin que le point de vue de l’observateur, aussi dans sa conscience, et plus loin que la vie libre, plus loin que sat- chit-ananda, plus loin que le je-suis sans centre. La véritable réalisation est celle de Cela, qui transgresse toutes les conditions, mais peut être formulé comme l’Inexprimable, l’Ouverture insondable, l’origine antérieure à la vie, au temps et à l’espace.

Que la vérité ultime soit entièrement indépendante de ces conditions, c’était tout à fait manifeste dans ce quartier pauvre de Khetwadi. Le bruit assourdissant de la circulation, les saletés et la puanteur n’y jouaient aucun rôle, tout comme le corps fragile et gravement malade de Nisargadatta Maharaj. Seule la lumière de la vérité ultime effaçant toutes les conditions illuminait les quelques disciples qui avaient vraiment compris de quoi il s’agissait. Remplis d’une immense gratitude, ils se sont laissés submergés par le rayonnement de cette lumière à l’infini.

 

Connaissance et libération de l’amour

La réalisation de l’advaita est la percée dans la compréhension de l’Ouverture insondable comme étant la seule et véritable réalité. C’est une compréhension vivante où l’expérience de la séparativité entre soi-même et les autres/l’autre disparaît. Cela signifie que votre forme limitée disparaît et que les autres/l’autre vont/va coïncider avec vous-même. C’est une situation à laquelle vous vous abandonnez, apparemment. Le sentiment d’abandon et de coïncidence, c’est l’amour. La réalisation, c’est l’amour de tout et de tous sans limites, un amour où l’entité individuelle se dissout. C’est l’amour du grand Tout, où la séparativité est absente, du Cela, que vous êtes sans détermination, du « je-suis » universel sans contenu. C’est l’amour qui rend possible l’expérience véritable de la non-dualité. Tout l’amour provient d’un « être-soi », d’un « je- suis ». Elle atteint sa forme suprême dans l’universel. En tant que « je-suis » universel, vous n’avez plus que les qualités universelles d’être, de conscience et d’amour/de félicité. Il y a aussi la conscience de cet univers du « je-suis » et la connaissance du fait qu’il a son origine dans l’absolu inexprimable. L’amour a donc sa place dans votre « je-suis », « être-conscience ». Vous en êtes libre dans la réalisation de l’absolu.
Dans la mesure où vous vous considérez comme une entité individuelle, il est donc d’une importance cruciale de demeurer dans cet état universel d’être-conscience-amour, qui, lui seul, mènera à la réalisation suprême. Il est donc utile d’examiner ce qu’est l’amour dans le monde de la dualité.

Dualité et amour

Où se présente l’amour dans la situation individuelle ? Dans les relations avec les autres : votre bien- aimé(e), votre famille, vos parents ; dans les relations avec les animaux, les plantes, les choses ; ou, comme ça, sans qu’il soit question d’une relation claire. La forme peut toujours varier, mais, dans tous les cas, il y a un « être-soi » plus vaste que l’entité individuelle, parce qu’il se reconnaît aussi ou se retrouve aussi dans un autre ou dans l’autre. Une expansion du soi est aussi possible au niveau égocentrique. Cela va même plus loin : on essaie toujours d’étendre son territoire à partir du soi. Vous désirez toujours quelque chose ou quelqu’un d’autre et vous pensez que cette chose ou l’autre fait partie de vous, est votre possession. Vous laissez votre sentiment du soi s’épandre dans l’autre ou l’autre chose. Cette expansion a lieu sur la base de « l’amour » qui a son centre dans un moi centré avec un intérêt propre et un souci de soi. Cet « amour » se manifeste par un désir de puissance, de possession et de consommation. Le soi limité (ego) ne connaît pas d’autres principes parce qu’il se considère et considère les autres comme quelque chose de limité. Il est clair que cette voie ne mène pas à l’union d’amour. Tout d’abord, vous ne lâchez pas, en tant qu’ego, la limitation de « l’être-soi ». Vous voulez conserver votre propre identité. Ensuite, vous ne laissez pas approcher vraiment l’autre. Vous êtes axé sur quelque chose de spécifique, sur ce qui est avantageux ou agréable pour vous ; vous ressentez l’autre à partir d’un point de vue limité, comme quelqu’un que vous possédez. L’effondrement des barrières vous séparant de l’autre n’entre pas en ligne de compte pour vous, en tant qu’ego. L’ego est la négation de l’amour. La tendance de l’ego, en tant que tendance centripète et conservatrice, est le contraire de l’amour, en tant que mouvement centrifuge. L’ego, synonyme de fermeture et de dureté, est le contraire de l’amour, synonyme d’ouverture et de fluidité.

L’amour pur

Il est toutefois important de voir que, même dans le cas d’un amour égocentrique, une ouverture et une expansion de soi-même ainsi qu’une recherche de l’union sont présentes. Ce qui peut former la base d’une forme supérieure d’amour, si les forces axées sur le moi disparaissent au cours de l’expérience d’expansion que procure l’amour. L’amour a un aspect fortement sentimental au niveau de l’ego. Des affections instinctives et des énergies fortes jouent un rôle très important dans les relations sexuelles. L’AMOUR PUR EST PRÉSENT DANS LA MESURE OÙ L’ENTITÉ INDIVIDUELLE LÂCHE PRISE. IL EST PRÉSENT SI VOUS NE CRÉEZ PLUS D’OPPOSITION ENTRE VOTRE MOI ET LES AUTRES/L’AUTRE, SI VOUS AIMEZ L’AUTRE COMME VOUS-MÊME Bien qu’une forte égocentricité et même l’égoïsme soient associés à l’approche sexuelle, elle est déjà une ouverture de son propre territoire et elle peut contribuer à une ouverture encore plus grande. Si cette ouverture a lieu, le feu du véritable amour continuera à brûler. Si l’amour est ardent, il consumera l’ego pour devenir cosmique.
L’amour est présent dans l’atmosphère de « l’être-soi », même si vous ressentez qu’il vient de l’extérieur. Tout amour est amour de soi. L’amour est étroitement lié à « l’être-soi ». Il peut seulement être purifié des limites imposées par « l’être-soi », s’il transcende l’entité individuelle. L’amour pur est présent dans la mesure où l’entité individuelle lâche prise. Il est présent si vous ne créez plus d’opposition entre votre moi et les autres/l’autre, si vous aimez l’autre comme vous-même. Il est l’atmosphère englobant tout et tous. Dans l’Amour, vous êtes le Soi de tout et de tous.

Joie

Tous les aspects de « l’être-soi » ainsi que vos sentiments sont purifiés lors de l’expansion de votre propre atmosphère et du lâcher prise de votre ancien moi. Toute expansion procure un sentiment de joie. L’expansion et la joie vont toujours de pair. C’est la raison pour laquelle l’ego recherche continuellement l’expansion, une transgression des limites existantes. C’est ce qui se passe dans le monde du sport, des études, mais aussi lorsqu’on fait appel à l’alcool et aux drogues. L’élargissement du champ des limites ou leur disparition procure un sentiment de joie. Au niveau du moi, cette expansion reste limitée, temporaire et axée sur quelque chose de spécifique. C’est la raison pour laquelle vous restez dépendant des circonstances. Votre joie sera donc conditionnée et temporaire. Ces limites disparaissent dans la mesure où vous lâchez prise. Il ne sera alors plus question d’une expansion associée à des sentiments personnels de joie, mais d’une expansion illimitée au-delà du temps et de l’espace, et par là-même, d’une joie illimitée, de la félicité (ānanda). La dureté de l’amour L’amour aura seulement sa véritable signification lorsqu’il sera plus qu’un beau sentiment. Tout le monde le sait, en fait. Et si vous négligez cet aspect et restez au niveau de l’égocentricité ? Cette limitation se manifestera clairement tôt ou tard dans le miroir de l’amour que vous éprouverez comme venant de l’extérieur. Vous ressentirez l’amour comme quelque chose de dur : elle condamne tout ce qui est reste de l’ego. Ce jugement peut être ressenti comme une dureté et provoquer des réactions d’angoisse. On est alors souvent enclin à repousser cette ouverture pour se replonger dans une atmosphère sentimentale douce et agréable. Mais l’amour divin présente deux faces qu’il faut accepter avant que l’unité puisse se manifester. Kâlî et Shiva dévorent l’ego sous leur forme destructrice. C’est seulement dans l’abandon total que l’on verra clairement que ces formes et cette dureté ne sont pas différentes de l’amour infini.  

L’énergie du cœur

 
La plupart du temps, vous considérez et concevez tout au niveau mental. Il est toutefois possible de faire baisser votre point de vue dans la direction de votre cœur. Vous éprouverez vite la douceur de votre cœur. Vous pourrez vous rendre à l’endroit de votre cœur en tant qu’ « être-soi » sensible. Le doux sentiment de votre cœur s’intensifiera, plus vous y pénétrerez. L’énergie de votre cœur se répandra et déferlera comme une vague. Ce mouvement de va et vient s’intensifiera. Éprouvez-le comme une forte énergie au mouvement ondulant. C’est une énergie fluide et lumineuse. L’énergie pénètre en vous à chaque inspiration, l’énergie se répand et rayonne partout à chaque expiration. C’est un sentiment manifeste, mais il se peut que vous vous voyiez cette énergie comme une énergie lumineuse. Visualisez-la afin de l’éprouver concrètement. Si vous la voyez très clairement devant vous, vous pourrez y pénétrer de plus en plus de sorte que vous suiviez vous-même ce mouvement dynamique, ce mouvement ondulant et ce rayonnement. Il est possible de quitter le point de vue mental pour descendre au niveau du sentiment, du cœur. Tête et cœur, conscience et sentiment s’uniront. L’énergie du cœur suivra ce mouvement ondulant dans l’espace, dans toutes les directions. Tout et tous sont intégrés dans cet amour. Ce processus d’expansion se poursuit à l’infini pour devenir une unité universelle. La séparativité de l’ego, ses désirs et ses rejets ont disparu. Tout est amour Lorsque vous réalisez l’unité, vous ne verrez qu’amour, aussi dans l’individualité. La délimitation de la vie de l’entité individuelle s’avère seulement une apparence. L’amour est partout et toujours présent, même à l’intérieur. Il s’y manifeste au niveau de l’ego comme un ardent désir d’amour, mais l’étroitesse d’esprit le limite à un désir ou une compensation pour le manque d’amour infini. Mais, cela aussi est une manifestation de l’amour. Si vous restez ouvert et faites tout fondre dans l’amour, les limites imposées à l’amour et au bonheur disparaîtront. Il n’y aura plus qu’une atmosphère d’amour universel et d’inséparativité, de non-dualité dans « l’être-soi », le « je-suis », « l’être tout ». Si cette atmosphère devient de plus en plus transparente, que restera-t-il ? L’absolu qui est antérieur à tout et libre de l’amour du « je-suis ». C’est là, votre dernière conscience : que vous êtes la source antérieure à l’être et au non-être, sur laquelle on ne peut plus rien dire. C’est justement à partir de cette conscience qu’il est clair que tout est amour tant que l’être du cosmos est présent.
 

L’EGO EST LA NÉGATION DE L’AMOUR. LA TENDANCE DE L’EGO, EN TANT QUE TENDANCE CENTRIPÈTE ET CONSERVATRICE, EST LE CONTRAIRE DE L’AMOUR, EN TANT QUE MOUVEMENT CENTRIFUGE. L’EGO, SYNONYME DE FERMETURE ET DE DURETÉ, EST LE CONTRAIRE DE L’AMOUR, SYNONYME D’OUVERTURE ET DE FLUIDITÉ.

 
2/  Cet autre article, qui a paru dans la revue néerlandaise sur la non-dualité Inzicht en février 2007, a été écrit par Douwe Tiemersma :
 

« ET CELA, TU L’ES, TOI AUSSI !» : QU’EST-CE QUE CELA ?

 
Dans l’approche de la non-dualité, l’être-soi constitue souvent le point de départ et la voie d’accès qui aboutit à l’ultime conscience d’être. Cette approche se retrouve chez de nombreux maîtres spirituels de l’advaita. Avant que la toute dernière identification du je-suis puisse se dissoudre, l’absolu devra se manifester et la non-dualité devra ainsi percer. La réalisation de « Et Cela, tu l’es, toi aussi ! » et de « Je suis Cela » exige un abandon total et définitif. Dans notre monde sécularisé, il est souvent difficile de savoir ce qu’est vraiment l’expérience du Cela. Le texte ci-dessous, extrait d’une introduction à un entretien du 6 décembre 2006 à Gouda, traite de ce sujet. Les formules essentielles (mahāvākya) des anciennes upanishads traitent de l’identité de l’être-soi et des principes essentiels du monde, de l’Ātman et de Brahman. La fameuse formule « Et Cela, tu l’es, toi aussi ! » figure dans la Chândogya Upanishad. Le titre de l’ouvrage contenant les entretiens de Nisargadatta Maharaj I am That fait référence à la même formule. La compréhension du « Et Cela, tu l’es, toi aussi ! » n’est pas seulement liée à « toi », à l’être-soi, mais aussi à « Cela ». Réaliser que le Soi et Cela sont identiques requiert non seulement une expérience existentielle lucide et claire du Soi, mais aussi de Cela. Si cette expérience fait défaut, la réalisation restera relative. Que se passe-t-il à l’apparition du Cela ? Commençons par une situation qui nous est plus proche. Si vous êtes axé sur le monde et voyez ceci et cela, votre cadre de vie sera en principe clos. C’est le cas de la majorité des adultes. Il est alors question d’une ordonnance spatiale claire. Tout a un emplacement géographique clair et net dans le monde. Il en va de même pour le temps, tout a une localisation claire et nette, tout occupe une place spécifique dans un agenda et sur le calendrier. L’espace et le temps constituent un système assez clos dans la perception, dans la représentation et dans la réflexion, dans le planning et le souvenir. Tout s’inscrit immédiatement dans un certain cadre spatial et temporel. Ceci vaut également pour les autres gens : lorsque vous rencontrez quelqu’un ou pensez à quelqu’un, vous le placez dans le cadre spatial et temporel. Cela vaut aussi pour vous- même. Vous avez une idée de vous-même et une connaissance de vous-même, et vous placez continuellement cette représentation et cette connaissance de vous-même dans le temps et l’espace comme un tout clos. Toutes sortes d’aspects supplémentaires du monde perçu s’y ajoutent. L’un de ces aspects est la causalité, la relation fixe de cause à effet entre les formes dans le temps. Tout a une cause dans un déterminisme clos. Un autre aspect est l’identité des choses qui se poursuit dans le temps et qui est liée à la dureté matérielle et avec la langue avec laquelle nous désignons les choses. Le monde, en tant que système de ces structures fondamentales (espace, temps, causalité, identité), est clos. Toutefois, ce système n’est pas complètement clos... {tout à coup, on entend la sonnerie d’un téléphone mobile ; tout le monde se regarde d’un air choqué}. Vous le remarquez. Il peut arriver quelque chose d’inattendu. Restez conscient de ce qui se passe. Cet événement inattendu est immédiatement mis dans un cadre : « Oh, c’est un téléphone mobile. » Mais reconsidérez le moment où le premier son s’est produit. Toute localisation dans l’espace et le temps, toute détermination a tout à coup disparu dans l’inattendu. Il y avait un vide ouvert. Cela arrive en fait très souvent, que la situation close éclate lorsqu’il arrive quelque chose d’inattendu. La détermination au moyen des structures standard est absente pour un moment. Évidemment, l’esprit a tôt fait d’encadrer l’inattendu car il ne peut rien faire avec quelque chose qui ne s’inscrit pas dans son cadre. Il arrive quelque chose que l’on ne peut pas placer dans un cadre, que l’on ne peut pas réduire à quelque chose de connu. Il y a un vide infini, absolu. Examinons cette situation de plus près. Recherchons l’endroit, l’identité et la cause de ce qui est insolite. Lorsque vous les connaîtrez, l’insolite se transformera en quelque chose de connu, de banal. L’ancien ordre familier sera alors rétabli et le calme reviendra. Hier soir, j’étais dans un magasin turc et je voulais acheter du thé. Le commerçant disait qu’il était en train de faire du thé et m’a demandé si je voulais aussi boire du thé. C’était très gentil. Je ne m’y attendais pas. Oui, c’est l’inattendu. Comment était la première fraction de seconde lorsque l’inattendu a fait son apparition ? Il y a alors un dérèglement de la pensée, parce que vous ne vous y attendiez pas. Il y a un vide. Il y a alors un moment d’embarras. Il y a alors acceptation. J’éprouvais son geste comme de l’amour pur. L’acceptation a créé de l’espace, dans ce cas, un espace positif, un espace de bonté et d’amour. Il n’y avait pas d’encadrement par un certain préjugé, comme, par exemple : « Les Turcs ne valent rien. ».
Chaque jugement crée une barrière et entrave ce qui est nouveau. À ce moment-là, vous étiez ouvert et une nouvelle dimension est apparue, la dimension d’une bonté inattendue. Si vous acceptez le vide, si vous laissez votre monde et vous-même ouvert lors d’un tel événement, tout restera ouvert, tout restera infiniment ouvert.
 

DIMENSION PROFONDE

Il est impossible de mettre bien des choses de votre vie dans un cadre. Vous pouvez en devenir plus conscient. Il faudra vraiment y faire attention, car, vous aurez tôt fait de reconstruire l’insolite en quelque chose de connu. L’ouverture au monde se refermera à nouveau, la platitude se substituera à la profondeur. Parfois, vous transpercez du regard la surface des choses qui acquièrent alors une dimension de profondeur. Cela peut arriver avec les gens avec qui vous avez un bon contact. Dans ce contact profond, vous ne vous limitez pas à l’image visuelle, l’aspect extérieur de l’autre, mais vous regardez au-delà de ces formes. Cela arrive déjà dans la conversation que vous avez avec quelqu’un d’autre. Lorsque vous vous adressez à quelqu’un, vous êtes axé sur l’autre en tant qu’entité individuelle. Qui est cette personne sur laquelle vous êtes axé lorsque vous parlez ? Ce n’est pas l’aspect extérieur de cette personne, ce n’est pas la totalité des images ou les informations transmises par l’autre. Les informations, ce n’est pas tout, même si beaucoup de gens estiment actuellement que c’est le cas. L’autre a une profondeur infinie. Si vous le remarquez, une perspective infinie naîtra dans l’autre. Lorsque vous parlez, vous êtes axé sur l’essence de l’autre. Lorsque vous demandez vraiment quelque chose à quelqu’un, vous vous attendez à une réponse authentique, cela veut dire, une réponse provenant de la profondeur originale de l’autre, et pas la réponse programmée d’un robot. Ceci vaut également pour les autres êtes vivants, les animaux et les plantes ainsi que pour les choses inanimées. Ils ont tous leur propre caractéristique qu’il est impossible d’encadrer dans des schémas comportementaux fixes. Dans le cercles Advaita, on entend parfois dire : « The world is in your mind », mais c’est absurde. La construction de l’esprit est limitée. Le monde n’est pas une création close de l’esprit, mais ouvert à l’infini dans toutes les directions. Ce qui reste, c’est l’étonnement : comment est-ce possible que des formes puissent émerger de cette atmosphère de profondeur. Qu’est-ce que c’est, cette atmosphère ? Elle ne s’inscrit pas dans les cadres de l’espace et du temps standard. Sur le plan du contenu, lors de vos conversations avec les autres, vous outrepassez les formes matérielles pour vivre toutes sortes d’univers. Le présent, le passé et l’avenir s’y entremêlent ; ici et là ne sont plus séparés. Ceci vaut également pour la contemplation d’une peinture ou l’écoute de la musique. D’où viennent tous ces univers ? D’où émergent toutes ces formes ? Votre regard s’arrête sur de simples choses, un verre d’eau, une fleur, le soleil et vous vous étonnez tout à coup que ces choses existent. Si vous n’intégrez pas directement les choses perçues dans les connaissances apprises, les choses surgiront d’une atmosphère ouverte, ce qui provoquera un grand étonnement. C’est un miracle que ces choses existent. Ceci vaut également pour votre propre existence physique. C’est un miracle si vous ne l’inscrivez pas dans le cadre d’un système relationnel ordinaire. La vie quotidienne fait très souvent entrevoir cette ouverture. Il arrive que cette ouverture perce tout à coup de façon intense. C’est ce que j’ai ressenti au décès de ma mère. Sa vie était à sa fin mais je voyais un immense espace lumineux, d’une infinie douceur et bonté. Je réussis à me fondre dans cette atmosphère. Il y avait d’abord une certaine réticence, mais ensuite, toutes les limites ont disparu. Pourquoi était-ce alors possible ?
Je pense que ma réticence a alors disparu.
Oui, dans cette attitude de réticence vous vous êtes refermé, et vous avez émis un jugement : tout était ainsi bloqué. L’expérience de l’ouverture est accompagnée d’un sentiment de joie. Restez-en conscient et laissez se poursuivre le processus de l’ouverture. Vous voyez que la mort ne peut pas être inscrite dans un cadre. Si vous essayez de le faire et dites par exemple : « Tous les gens meurent », vous ne parlerez pas de la mort véritable. La mort véritable, vous y serez confronté à la fin de votre vie. Il sera impossible de l’éliminer en la rationalisant, parce qu’il y a quelque chose dans la mort qui ne peut pas être mise dans un cadre. La mort transgresse le temps, l’espace, la causalité, l’existence et la non-existence. Vous apprendrez surtout à connaître cette atmosphère dans une situation de force majeure, lorsqu’il n’est plus possible de tout ordonner. Votre ordre est déréglé, s’échappe de vos mains, et la seule issue est de vous abandonner totalement au non-ordonné, à l’ouverture. Cette atmosphère d’ouverture, vous la reconnaîtrez également dans d’autres situations moins violentes. Cette compréhension est indépendante de toute condition. Une fois que vous aurez appris à connaître la dimension de l’ouverture, vous serez toujours certain de la présence permanente de l’ouverture. Vous créez un monde plus ou moins clos parce que vous le trouvez plus confortable. Vous essayez d’y inclure tout, mais vous n’y arrivez jamais complètement. C’est ce que nous venons de voir avec l’apparition de l’inattendu et de la dimension de profondeur, dans l’étonnement et lors de la confrontation avec ce qui n’est pas maîtrisable, à savoir, la mort. Examinez aussi la situation où une forte angoisse s’empare de vous. Un tsunami approche, par exemple, et il est impossible de l’éviter. Dans cette angoisse, l’espace, qui transgresse le temps et l’espace standard de votre existence quotidienne, s’ouvre. Que se passe-t-il ? Il y a une compression de vous-même devant quelque chose d’immense, quelque chose d’absolu, où la survie de l’individu est exclue. Il y a évidemment aussi une grande inclinaison à boucher cette ouverture, à neutraliser l’objet de votre angoisse. De quoi est-ce que les gens ont peur aujourd’hui ? Des terroristes, d’une attaque, du vieillissement et de la maladie. Regardez tout ce qu’ils mettent en œuvre pour essayer d’y résister. Toutefois, il y a aussi une fascination pour les situations provoquant l’angoisse. Les gens aiment regarder des films d’horreur où le meurtre est présent. Ces choses, ces organismes ou ces esprits ne semblent pas être maîtrisables. Mais, les gens ne veulent pas que la tension et l’angoisse soient trop intenses. C’est pourquoi, le film se termine heureusement bien. Et le monde familier se clôt à nouveau. Les gens recherchent toujours leurs limites, parce que ce qui se trouve au-delà de ces limites les fascine – jusqu’au moment où cela est trop dangereux. Ils font alors marche arrière. Nos fils sont fascinés par les films d’horreur. Ont-ils besoin de cette fascination pour leur développement ? Oui, mais il faut espérer qu’ils apprendront à connaître consciemment la structure d’ouverture et de fermeture et qu’ils pourront accepter l’ouverture dans la détente de l’être-soi. Il s’agit donc aussi qu’ils comprennent que si leur ouverture peut rester présente, elle ne sera plus perçue comme quelque chose à redouter et que les problèmes que pose la fermeture disparaîtront. La fermeture leur pose des problèmes, à juste titre. Si l’ouverture est présente, les conventions, par exemple, ne poseront plus de problèmes.
 

LA CONNAISSANCE DU BIEN ET DU MAL

Une autre ouverture du monde quotidien est celle des notions. Dans leur connaissance du monde, les gens sont continuellement axés sur ce qui surpasse la réalité sensorielle. Lorsque vous voyez un chat, vous ne voyez pas seulement des taches colorées sur votre rétine. Les impressions visuelles convergent avec la notion de chat. Personne n’a jamais vu la notion de chat. On voit seulement des chats, mais vous savez qu’il s’agit de chats, parce que vous avez une notion générale de ce qu’est un chat. La félinité se manifeste dans les formes concrètes des chats. Il en va de même pour la vie unique qui se manifeste dans tous les êtres vivants, pour l’or unique qui se manifeste dans tous les objets en or, pour l’énergie fondamentale qui se manifeste dans toutes les énergies et dans toute la matière. Dans la physique moderne, l’énergie du point zéro est le fondement de toutes les formes d’énergie et de matière. Nous avons conscience de l’Un antérieur au temps et à l’espace. La source originale, qui est également le fondement de tout, on la retrouve dans les anciennes écritures. Cette conscience semble être quelque chose de commun à l’humanité depuis les temps les plus anciens. Cette source originale est appelée Brahman en Inde. L’expérience d’un bon comportement, comme celui du commerçant turc, peut conduire à Brahman. Vous établissez que cet homme est bon. Personne n’a vu la notion de bonté ; mais elle est utilisée. La bonté se manifeste au travers des formes. Nous trouvons tout naturel de transgresser le monde sensoriel pour passer au monde suprasensoriel en déclarant : « Ça, c’est bon, et ça, c’est mauvais. » La connaissance du bien et du mal est en nous et nous la reconnaissons dans le monde. La bonté n’est donc pas dépendante d’une situation spécifique. Vous pouvez vous axer sur la bonté, de sorte que cette notion en tant que telle soit plus claire. C’est une contemplation intérieure qui transgresse l’aspect extérieur du monde sensoriel perceptible. Si vous vous concentrez sur la bonté, la bonté sera plus claire. Elle apparaîtra au premier plan ; elle sera la réalité ultime. Si vous vous y abandonnez, il n’y aura plus qu’un océan de bonté pure sans limites, sans temps, sans espace. Jusqu’où va cette contemplation ? Elle est infinie, non ? Elle transgresse l’atmosphère de temps et d’espace, la contradiction bien et mal. Il s’agit ici de quelque chose d’indivisible qui est le fondement de tout. Le monde que vous percevez a donc une profondeur infinie qui peut s’ouvrir dans l’absolu. Il est important de reconnaître cela. Partant du point de vue d’un « moi en face du monde », je peux faire l’expérience de quelque chose qui ne cadre pas dans le monde, qui ouvre le monde. Martin Buber parle de temps historiques où les gens ont construit une belle maison de leur conception du monde ; ces périodes alternent avec des périodes où le toit de la maison s’est envolé, où la maison a été balayée. Vous vous retrouvez seul dans l’immensité de la plaine, dans le vide infini. Les gens essaient de reconstruire une maison où ils peuvent s’abriter, mais cela n’a plus vraiment réussi après le Moyen Âge. Les gens continuent à éprouver le sentiment du vide, bien qu’ils essaient de l’oublier ou de l’accepter par tous les moyens. Il n’y a plus de fondement réel sur lequel construire. Il y a insondabilité. La pensée et l’émotion ne s’arrêtent pas devant une limite. Si l’on ressent ou présume une limite – la mort ou la fin du monde – la pensée demandera ce qui viendra après. La seule chose à faire, c’est de laisser tout vraiment ouvert. La tension liée à la construction des limites peut alors disparaître et la véritable ouverture fera alors son apparition. La plupart du temps, le monde suprasensoriel faisait l’objet de représentations et de pratiques religieuses. Les récits sur Dieu, créateur et souverain, étaient de plus en plus considérés comme des projets humains et relatifs. C’est ainsi que le savoir universel de Dieu (le déterminisme hermétique) était démasqué comme étant une projection. Dans la religion juive, la religion chrétienne et la religion islamique, il y a toutefois aussi la conscience du caractère absolu de Dieu : il n’est pas permis de faire une image de Dieu, parce que toute image est en principe faute. L’hindouisme n’est pas si sévère, mais prime l’absolu.

LE COSMOS ET L’ÊTRE-SOI

Nous avons parlé jusqu’à maintenant de la nature du monde et du cosmos. Ce qui impliquait immédiatement que nous parlions de nous-même. Nous avons reconnu la bonté, parce qu’elle est déjà présente en nous. L’amour est reconnu, parce qu’il est déjà présent en nous. Cela vaut également pour l’infini. Nous pouvons connaître ce qui transgresse temps et espace, parce que c’est présent en nous. Tout le monde a conscience de l’ouverture non-duelle. Nous la reconnaissons dans la profondeur d’un autre ou du monde, parce qu’elle est déjà présente en nous. Elle fait partie de notre être-soi. Dans la mesure où nous la reconnaissons dans l’autre, nous nous reconnaissons nous-même sur ce point de la non-dualité. Si tout s’ouvre et que vous lâchez prise, l’être-soi s’ouvrira également. Les deux facettes du monde de notre existence, le sujet et l’objet, sont indissociées. Lorsque l’infini se manifeste sur le plan de l’objet, il se manifestera aussi en vous-même. S’il s’ouvre complètement, votre être-soi s’ouvrira aussi complètement. À la seule condition que vous acceptiez cette ouverture du cosmos et de l’être-soi, cela veut dire que vous abandonnez vos formes limitées jusqu’au niveau du « je suis ». C’est seulement dans l’abandon total à Cela qu’il y aura réalisation de « Et Cela, tu l’es, toi aussi ! ». Faites-vous l’expérience de la structure de profondeur des autres, de l’autre et de vous-même, aussi dans la vie quotidienne ? À quel niveau êtes-vous surtout présent ? À la surface, à un niveau plus profond des significations que vous reconnaissez ou vous êtes-vous dissout dans l’inexprimable lorsque tout s’est ouvert ? Dans ce cas, il n’y aura plus de séparations. Le soi et Cela, je et l’autre, les choses ne sont plus des dualités. C’est la raison pour laquelle on ne peut rien dire de positif à ce sujet. La vie quotidienne peut se poursuivre, mais sa transparence est telle que l’ouverture non-duelle primera en tant que réalité ultime. Cette ouverture n’est pas différente des choses ordinaires de la vie.

Revenir à l'article de Douwe Tiemersma sur l'enseignement de Nisargadatta