Conscience Neuronale vs Conscience Fondamentale : La Grande Confusion des Physiciens
Pourquoi la quête d'une "théorie de la conscience" en science moderne bute peut-être sur une erreur de catégorie fondamentale.
Introduction : Le Rêve Physicien
La physique du 21ème siècle est à la croisée des chemins. Après les triomphes de la mécanique quantique et de la relativité, une frontière ultime résiste : celle de la conscience. Des figures éminentes, comme Roger Penrose, ou des proponents de théories comme l'Orchestrated Objective Reduction (Orch-OR), tentent courageusement d'intégrer la conscience dans le formalisme physique. Ils cherchent l'événement quantique dans les microtubules des neurones, le lieu où la fonction d'onde se "réduit" pour donner naissance à l'expérience subjective.
Mais et s'ils cherchaient au bon endroit avec la mauvaise définition ? Et si la confusion entre deux concepts radicalement différents de "conscience" empêchait toute avancée réelle ?
1. La Conscience Fonctionnelle : Le Film à l'Écran
Appelons-la la conscience phénoménale ou la conscience cognitive. C'est celle qui intéresse les neurosciences et que les physiciens tentent de modéliser.
- Ce qu'elle est : Le produit émergent, complexe et dynamique de l'activité de nos 86 milliards de neurones. C'est le flux de nos pensées, de nos émotions, de nos perceptions sensorielles, de nos souvenirs.
- Son siège : Le cerveau. Elle est intimement liée à la structure et à la biochimie neurales. Une lésion, un médicament, un changement d'état (sommeil, éveil) la modifient ou l'abolissent.
- Son rôle : C'est un processeur d'information. Elle traite les données du monde, forme un modèle de réalité, prend des décisions, assure la survie de l'organisme. C'est le contenu du film, avec son scénario, ses personnages et ses images mouvantes.
- L'objectif des physiciens : Trouver le mécanisme précis (un effet quantique, une propriété computationnelle spécifique) qui fait émerger cette expérience subjective à partir de la matière cérébrale non-consciente.
2. La Conscience Fondamentale : La Lumière du Projecteur
Appelons-la la conscience pure, la conscience témoin ou la conscience non-duelle. C'est un concept issu des philosophies contemplatives (comme l'Advaita Vedanta ou le Bouddhisme) et que certains philosophes (comme Bernardo Kastrup) défendent.
- Ce qu'elle est : Non pas un produit du cerveau, mais le substrat même de la réalité dans lequel le cerveau et l'univers tout entier apparaissent. C'est la capacité fondamentale de "faire l'expérience de", antérieure à toute expérience particulière. C'est la lumière immuable qui permet de voir les images, indépendamment du film qui défile.
- Son siège : Elle n'en a pas. Elle n'est pas localisée. Le cerveau ne la produit pas ; il la transmet, la canalise ou la reflète, comme un poste de radio qui reçoit et decode une onde préexistante sans en être la source.
- Son rôle : Elle est ce qui connaît. Elle est la condition préalable et nécessaire pour que toute expérience (y compris l'expérience d'avoir un cerveau) ait lieu. Sans cette "lumière de la conscience", le "film" de la réalité se déroulerait dans une salle obscure, pour personne. Il n'y aurait tout simplement... rien.
- La confusion : Chercher à localiser cette conscience dans un processus neuronal, c'est comme chercher le projecteur de cinéma à l'intérieur de l'écran, dans l'une des images du film.
Tableau Synoptique de la Distinction
Aspect | Conscience Fonctionnelle (cerveau) | Conscience Fondamentale |
Nature | Produit émergent | Substratum |
Source | Sytème neuronal | Fondement hors espace-temps |
Analogique | Le film (l'histoire, les images) | La lumière du projecteur |
Modifiable | Oui, psychotropes, anesthésiques etc... | Non |
Objet d'études | Neurosciences | Psychologie, philosophie, spiritualité |
3. Pourquoi cette Confusion est un Problème pour la Science ?
La quête d'une "équation de la conscience" est noble, mais elle est vouée à l'échec si elle ne définit pas son sujet.
1. L'Erreur Catégorielle : Chercher une propriété émergente et localisée (la conscience cognitive) là où il pourrait s'agir d'une propriété fondamentale et non-locale de l'univers est une erreur de catégorie logique. C'est comme chercher à peser une idée avec une balance.
2. Le Problème Dur de la Conscience (Hard Problem) : David Chalmers a souligné que même si on explique toutes les fonctions cognitives (comment nous traitons l'information), on n'explique pas pourquoi cela s'accompagne d'une expérience subjective vécue (qualia). La conscience fondamentale propose une réponse radicale : il y a une expérience subjective parce que la réalité est, fondamentalement, de l'expérience. La matière n'est pas inconsciente qui devient consciente ; elle est l'aspect externe d'une conscience intérieure.
3. La Piste Stérile : Passer des décennies à chercher un corrélat neural objectif à ce qui est, par essence, subjectif et fondamental, pourrait être une impasse. On risque de décrire avec une précision infinie le mécanisme de la radio sans jamais comprendre le concept de "signal".
Conclusion : Vers une Approche Intégrative
Cela ne signifie pas que les travaux des physiciens sont inutiles. Au contraire, ils décrivent avec une précision croissante le fonctionnement incroyablement complexe de la conscience fonctionnelle – le film lui-même.
Mais pour véritablement "rentrer la conscience dans l'équation", il faudrait peut-être une révolution plus profonde : une physique qui accepte que la conscience fondamentale soit une prémisse première, et non un produit final à expliquer. Une physique qui cesserait de voir l'univers comme une machine morte et muette pour le voir comme une vaste mer d'expérientiation se manifestant sous des formes multiples.
La prochaine étape ne sera peut-être pas de trouver une nouvelle particule dans le cerveau, mais d'opérer un changement de perspective radical : et si le projecteur était non seulement en dehors de l'écran, mais qu'il était également la substance même de tout ce qui est projeté ?